Deux responsables syndicaux de l’Unsa viennent d’être interpellés par la justice.
Deux dirigeants de la fédération de la sécurité de ce syndicat sont suspectés d’avoir détourné plusieurs centaines de milliers d’euros pour leur usage personnel. Une affaire embarrassante pour une organisation proche des socialistes.
Les organisations syndicales n’ont pas la cote dans le coeur des Français. Voilà une affaire qui ne les aidera pas à redorer leur blason. Selon nos informations, deux importants responsables syndicaux de l’Unsa – une organisation proche de la gauche – ont été interpellés au début de ce mois. L’un d’eux a été entendu en garde à vue et mis en examen pour abus de confiance; l’autre a été hospitalisé à la suite d’un malaise et devrait être convoqué plus tard dans la procédure.
Au terme de l’enquête préliminaire menée par le parquet de Paris, les deux hommes sont soupçonnés d’avoir détourné, au cours de ces dernières années, plusieurs centaines de milliers d’euros des comptes du syndicat via un complexe système de transferts d’argent. Et d’avoir utilisé ces sommes à des fins d’enrichissement personnel, notamment pour des dépenses de loisirs (vacances, restaurant…).
Lors des perquisitions, des pièces d’or, achetées en nom propre, ont été trouvées, ainsi qu’un compte ayant servi à acquérir des actions pour des centaines de milliers d’euros, là aussi à titre individuel. Les deux hommes risquent une peine maximale de trois ans d’emprisonnement et une amende de 375000 euros.
Des dirigeants de premier plan suspectés
Pour l’Unsa, l’affaire est d’autant plus embarrassante qu’elle concerne des dirigeants de premier plan, actuels ou passés, de sa Fédération des métiers de la prévention et de la sécurité. Cette FMPS regroupe tous les adhérents de l’Unsa travaillant dans la sécurité privée. Erik Biro, son secrétaire général, également délégué syndical à Securitas, est l’un des deux mis en cause. Jusqu’à son départ, en 2014, le second protagoniste – pour l’heure non mis en examen -, Patrice Goardou, est à la fois trésorier de FMPS-Unsa et salarié du service juridique de l’Unsa nationale.
Désormais, il gère une société de conseil et s’occupe de rassembler des fonds pour l’église du village picard dans lequel il réside. Interrogés par L’Express, les deux hommes n’avaient pas réagi en début de semaine. Le juge d’instruction devra établir si d’autres personnes au sein de l’Unsa ont pu bénéficier des détournements de fonds, et à quelle hauteur.
L’information judiciaire devra aussi déterminer d’où provient l’argent détourné. S’agit-il uniquement des cotisations des adhérents ou bien certains syndicats Unsa dans les entreprises – notamment celui de Securitas, directement géré par Erik Biro – ont-ils, volontairement ou non, alimenté le système?
Autre zone à éclaircir: la fédération a reçu d’importants versements de la part d’instituts de prévoyance, et non des moindres, puisque y figurent notamment Malakoff Médéric ou AG2R la Mondiale. Existe-t-il des contreparties légales à ces sommes? Pour l’instant, aucune explication sérieuse n’a été donnée par les dirigeants de la FMPS-Unsa.
Il ne peut s’agir de publicités pour ces organismes parues sur le site Internet de la fédération: ce dernier est en panne depuis plusieurs mois et renvoie à une page qui n’a pas grand-chose à voir avec la défense des salariés. Elle vante en effet les mérites de monte-escalier. Coïncidence, quelques jours avant l’un des versements, un accord, dont la FMPS-Unsa était signataire, a désigné l’un de ces organismes comme le prestataire principal de la branche en matière de complémentaire santé.
Au début de cette semaine, Malakoff Médéric n’avait pas réagi aux sollicitations de L’Express. De son côté, AG2R la Mondiale ne pouvait pas, dans l’immédiat, répondre au sujet de la FMPS, mais indiquait que « la nature paritaire et la taille d’un groupe tel que AG2R la Mondiale l’amènent naturellement à entretenir, avec les organisations syndicales, de nombreuses relations de travail dans des cadres contractuels variés ».
L’Unsa se réserve le droit d’aller en justice
Pour l’Unsa, le contrecoup s’annonce dévastateur. Peu connu du grand public, le syndicat joue pourtant un rôle clef dans le paysage social et politique. Née en 1993 d’une scission au sein de la Fédération de l’Education nationale (FEN), l’organisation a toujours été en phase avec les socialistes. L’élection de François Hollande a renforcé ce lien. Luc Bérille, secrétaire général de l’Unsa, ne cache pas sa proximité avec la Rue de Solferino.
Jean Grosset, n°2 de l’Unsa jusqu’au début de 2015, a été nommé en mars conseiller social de Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, et désigné par l’Elysée comme personnalité qualifiée au Conseil économique, social et environnemental à l’automne dernier. Surtout, le syndicat et l’Elysée partagent un même goût de la réforme sociale. François Hollande a pu compter sur le soutien de l’Unsa quand l’une de ses propositions était contestée parles frondeurs ou par la gauche de la gauche. Si l’ampleur du détournement d’argent est avérée, cela fera pour le moins désordre.
Luc Bérille aura beau jeu de défendre une organisation, très décentralisée, dont le principe fondateur est l’autonomie des structures qui la rejoignent, comme en témoigne son nom complet – Union nationale des syndicats autonomes. Mais cette affaire démontre les limites de la stratégie de l’Unsa. Celle-ci est surtout présente dans le service public et dans le monde des transports, où elle compte les deux tiers des 200000 adhérents qu’elle revendique.
Elle a voulu, depuis la fin des années 2000, se développer à marche forcée dans le privé. La loi de 2008 sur la représentativité syndicalel’y a encouragée, en obligeant les syndicats à atteindre un seuil minimal aux élections professionnelles pour participer aux négociations. L’un des arguments pour convaincre des salariés de s’affilier sous l’étiquette Unsa est alors la très grande liberté laissée aux équipes sur le terrain.
Au risque de voir s’installer des pratiques douteuses. L’enquête devra notamment établir si les dirigeants nationaux étaient au courant de certaines dérives et ont fermé les yeux pour ne pas entraver le développement de l’organisation. Contacté par L’Express, Luc Bérille nous affirme que l’Unsa, alertée dès l’été 2014, a licencié pour faute grave Patrice Goardou, salarié de son service juridique. Mais il dit que l’organisation n’a pas été au courant de l’ensemble de l’affaire jusque dans les premiers jours de ce mois et qu’elle se réserve la possibilité d’aller en justice.
Des systèmes de contrôle des comptes inefficaces?
Au début de 2015, à la veille du congrès qui a renouvelé son mandat à la tête de l’Unsa, le secrétaire général confie à L’Express qu’il y a parfois de l’amateurisme et des aventuriers dans certaines de ses fédérations. Dans la foulée, il fait adopter par le congrès un texte rappelant que « la transparence doit s’exercer à tous les niveaux […]. C’est un principe de fonctionnement démocratique, mais aussi une obligation légale dont le non-respect entraînerait des conséquences réciproques pour chacune des composantes impliquées, comme pour toute l’Unsa »…
… Et pour l’ensemble des organisations syndicales, aurait-il pu ajouter. Car l’affaire de la FMPS-Unsa, si elle débouche sur une condamnation, démontrera aussi l’inefficacité des systèmes de contrôle et de transparence des comptes des organisations syndicales, mis en place après les révélations, en 2008, sur la « caisse noire de la métallurgie« , touchant dans ce cas, une organisation patronale.
Depuis lors, les syndicats bénéficiant de plus de 230000 euros de ressources annuelles doivent faire certifier leurs comptes et les publier. En deçà, ils sont tenus de tenir des comptes et de les déposer auprès de la direction régionale du travail. A l’époque, ces mesures apparaissaient comme une révolution au regard de l’opacité passée et de réels progrès ont été accomplis. Insuffisants, apparemment.
Source: L’express